Et si on enseignait l’esprit critique et la créativité à l’école ?
Avec Internet aujourd’hui et l’Intelligence artificielle demain, l’école traditionnelle n’offre plus les bonnes clés pour l’avenir aux élèves, assure Ugo Cavenaghi, président-directeur général du collège Saint-Anne de Montréal au Québec. Il partage avec nous sa vision et son expertise pour réinventer une école qui fasse lien avec notre époque, et sens aux yeux des élèves.
Pourquoi est-il nécessaire selon vous de réinventer l’école ?
La technologie et son déploiement changent la donne pour les élèves comme pour les enseignants. Mais l’école est encore spectatrice de cette évolution. Elle ne change rien ou presque. Et les élèves décrochent car ils n’y trouvent plus de sens. D’autant que l’école a perdu son monopole de la connaissance, car les élèves ont accès maintenant facilement à la connaissance via leur smartphone. Si une partie de la connaissance est dans leur poche, pourquoi se déplacer à l’école écouter ses professeurs déverser leurs savoirs ? Le cours n’a moins intérêt et ils « zappent » au bout de quelques minutes. Pourtant l’enseignant a encore un rôle essentiel à jouer en focalisant son enseignement sur des compétences indispensables pour l’avenir, les fameux 5C : collaboration, communication, pensée critique, compassion et créativité. Elles forment l’élément différenciant entre l’homme et la machine face à l’avènement de l’Intelligence artificielle. Pour y parvenir il faut enseigner différemment, en finir notamment avec l’apprentissage par silos qui prédomine le monde de l’enseignement.
Au sein de notre grande famille des écoles Saint-Anne, nous avons choisi d’adopter une autre approche, de réinventer l’école, d’offrir un projet éducatif innovant à nos élèves, en phase avec l’époque.
Qu’est-ce que cela implique pour les enseignants ?
Ils doivent clairement changer de posture. Et ce n’est pas évident. La première chose à faire est d’insister sur les raisons du changement. Tant que les professeurs ne comprennent pas pourquoi l’école doit être réinventée et pourquoi ils doivent changer leurs habitudes, cela ne fonctionnera pas. L’école de demain doit être co-construite, pas subie ! Impliquer davantage les enseignants est essentiel. Dans notre établissement, nous avons réuni une trentaine d’enseignants au sein d’un comité afin de définir les contours de cette nouvelle méthode. Après plusieurs échanges, nous avons défini un projet éducatif en 2017 appelé le cours de demain permettant à chaque professeur de construire son cours en le liant à la réalité, en créant une culture de l’essai et de l’erreur. Une révolution ! Nous misons sur les interactions et la capacité d’apprentissage unique à chaque étudiant. Ses habilités, son profil et ses objectifs.
Dans votre livre Osons l’Ecole, vous citez l’architecte Pierre Thibault ou les fondateurs de l’école maternelle Fuji Yochien au Japon, des personnalités qui invitent à repenser l’architecture des écoles et des classes. En quoi décloisonnement et aménagement flexible permettent-ils à l’école de se réinventer ?
Il s’agit surtout de s’adapter aux stratégies de l’enseignant. Il faut que le bâtiment soit en cohérence avec cette approche pédagogique naissante et innovante. Et nous sommes fiers d’être précurseur en la matière ! Pour faire de la pédagogie active, la classe doit pouvoir être réaménagée en deux-trois minutes par exemple, afin d’organiser des ateliers à 2, 4 ou 6 élèves, ou de faire des travaux à 30 élèves. Cela vaut aussi pour répondre aux besoins de tous les professeurs qui ne disposent pas d’une salle de cours attitrée. Une astuce pour gagner du temps : dans chaque classe, nous avons affiché des schémas afin de représenter les dispositions possibles des meubles dans la classe en fonction des besoins du cours. Au bout de quelques semaines les enseignants n’ont plus besoin d’intervenir, les élèves vont spontanément se saisir des chaises, des tables ou du matériel pour organiser la classe. Ils sont autonomes.
Déplacer les meubles ne fait pas trop de bruit ?
La classe silencieuse n’existe plus ! Il faut accepter le bruit. Cela ne signifie pas forcément que les élèves ne sont pas concentrés. S’ils travaillent en petits groupes pour un atelier, le bruit est plutôt bon signe, il est indispensable. Les élèves échangent, ils sont acteurs de leur formation. C’est pour cela que nous menons des travaux importants d’insonorisation des locaux pour avoir une acoustique adaptée.
Pouvez-vous nous parler plus en détail des aménagements que vous avez réalisés au sein de Saint-Anne et de ceux à venir ?
Dans l’établissement existant qui accueille des niveaux primaire, secondaire et ce que nous appelons ici au Québec, le Collégial, nous rénovons l’espace par étape. Et nous réaménageons aujourd’hui le 4e et dernier étage du secondaire. Ce n’est pas une mince affaire car le bâtiment a 160 ans. Non seulement nous aménageons différemment les classes mais en plus nous cassons des murs pour gagner de l’espace, nous installons des baies vitrées pour obtenir plus de lumière…c’est un travail de titan !
Dans les classes, nous n’avons plus d’avant ni d’arrière. On met des tables de chaque côté du professeur qui lui se place au milieu et peut circuler avec un petit bureau. Les tables peuvent toutes être montées ou baissées en fonction des besoins du cours. Nous avons aussi de grands poufs sur lesquels les élèves peuvent s’installer pour lire ou se reposer par exemple.
Et vous construisez une nouvelle école...
Pour développer un projet pédagogique plus avant-gardiste encore, nous avons décidé de construire une nouvelle école, un collège, qui ouvrira ses portes en septembre 2021 et pourra accueillir 700 élèves. Nous sommes en phase finale de conception des plans avec l’architecte Pierre Thibault.
Elle sera entièrement flexible et tournée vers la pédagogie active et une approche multidisciplinaire. En termes d’architecture et d’aménagement, le bâtiment ne comptera quasiment aucune classe fermée et fera la part belle aux open spaces.
Nous cassons les silos et bouleversons le calendrier. La prochaine école n’aura plus de cloche et les élèves commenceront plus tard. Nous espérons aussi pouvoir réduire le temps dédié aux vacances estivales. Et toutes ces nouvelles approches sont basées sur les dernières recherches scientifiques.
Crédit photo : Taktik Design
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