Méthode Freinet : une boîte à outils pour une pédagogie adaptée à l’enseignement des langues
"Et si la pédagogie Freinet représentait un levier d’apprentissage en classe de langue ? C’est le parti pris d’Alice Lenesley Professeure de Français Langue Étrangère (FLE) et de Français sur Objectifs Adaptés (FOA) à la mairie de Paris. Comment se dessine un cours de langue ancré dans la pédagogie Freinet ? Quels en sont les apports et les limites ? Décryptage pour s’inspirer."
Un nouveau trousseau de clés
Lorsqu’elle la découvre en 2015, la pédagogie Freinet apparaît à Alice Lenesley comme une réponse aux problématiques d’enseignement liées à son public et à son environnement de travail. Dans ses classes, la professeure retrouve différents types d’apprenants. Parmi eux, des adultes peu scolarisés en situation de précarité et locuteurs de langues à alphabets non latins. « La pédagogie Freinet m’a permis de donner un cadre à ma pratique, ce qui m’a donné de l’élan et m’aide beaucoup », explique l’enseignante.
En s’appuyant sur l’approche Freinet, Alice Lenesley tire une croix sur les manuels, renonce aux paquets de photocopies et se tourne vers un matériel plus nomade. « L’essentiel nécessaire à la pédagogie Freinet pourrait tenir dans un sac à dos ! A condition de bien y réfléchir. », s’enthousiasme l’enseignante. Pour ses cours de FOA, Alice Lenesley adapte par exemple la Méthode Naturelle de Lecture et d’Écriture (MNLE) à son public. La parole de ses apprenants suffit pour construire ses parcours d’apprentissage. « Au début, ils ne savent ni lire ni écrire. Nous prenons appui sur leurs productions orales qui sont retapées à l’ordinateur ou recopiées au tableau pour entrer dans la syntaxe, travailler les analogies de mots ou découvrir les syllabes. Il n’y a besoin de rien d’autre : ni manuel ni exercice de grammaire ! ». A partir de leurs propres productions les apprenants explorent la langue et découvrent leur propre stratégie pour apprendre à la lire et à l’écrire.
Changer de regard sur le cours de langue
Appliquer la méthode Freinet implique un travail de déconstruction des représentations scolaires auprès de ses élèves : « Dans de nombreux pays, une certaine hiérarchie professeur-élève perdure et entrave les apprentissages ». Pour briser ce conditionnement, l’enseignante joue sur la disposition de la salle de classe : « L’espace et le mouvement sont au cœur de la pédagogie Freinet. Repenser l’agencement redéfinit ma posture et le comportement de mes apprenants ». L’objectif est de favoriser le travail entre pairs et la convivialité. Les murs peuvent aussi être mis à profit : « Une disposition en cercle ou en U, une étagère ouverte avec du matériel à disposition, des panneaux de lièges à investir, un second tableau blanc à partager, c’est un bon point de départ ! »
Au fil d’une séance, qui laisse libre place à la parole et à la créativité, Alice Lenesley s’efface et parle le moins possible, elle invite en revanche ses apprenants à prendre les devants du cours et à produire le plus possible. Les élèves discutent, manipulent des enveloppes remplies d’étiquettes, conçoivent de petits livres à partir d’une feuille A4, utilisent le tableau pour s’expliquer et partager. En s’appropriant l’espace et le temps du cours, ils deviennent acteurs de leur apprentissage.
Prendre son envol
Privilégier un matériel conçu par la classe, laisser les élèves tâtonner, gagner en autonomie, s’exprimer et collaborer : appliqués à l’apprentissage des langues, les grands principes de la pédagogie Freinet portent leurs fruits. « Mes élèves gagnent en confiance en termes de production, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral », constate l’enseignante.
Cette approche, avec la MNLE, ne s’applique cependant pas aux débutants complets à l’oral et nécessite un temps de rodage : « Pour démarrer, il faut que l’apprenant soit au minimum de niveau A2[1] en réception et en production orale. Les élèves doivent aussi prendre conscience qu’ils ont un rôle important à jouer dans leur progression : ce sont eux qui font 70 % du travail ! » précise Alice Lenesley. En attendant d’atteindre le niveau élémentaire, rien n’empêche cependant l’enseignant de réorganiser l’espace, d’encourager la collaboration, le mouvement et l’autonomie pour s’inscrire dans une démarche qui tend vers la pédagogie Freinet. « Il s’agit surtout d’une question d’esprit, de philosophie et de posture. Il y a un grand travail de déconditionnement scolaire à mener en amont, aussi bien auprès des apprenants que des enseignants ! », souligne l’enseignante.
Avec cette nouvelle façon d’apprendre, les apprenants se sentent revalorisés : « Cela s’observe très clairement dans leur gestuelle, en particulier dans les groupes d’alphabétisation et de FOA. Petit à petit ils sortent de leur réserve et gagnent en confiance en eux », conclut Alice Lenesley. Transposable auprès de différents publics et contextes d’enseignement, l’approche Freinet représente ainsi une posture précieuse pour les enseignants en quête d’une pédagogie active et créative, appuyée sur la coopération !
[1] Selon les niveaux définis par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues CECRL
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