Comment lutter contre le harcèlement scolaire : des exemples en Europe
La journée internationale contre le harcèlement en milieu scolaire a lieu le 4 novembre 2021. Pour faire face à ce phénomène destructeur pour les enfants et les adolescents, différents pays du monde ont lancé des programmes spécifiques. Ils impliquent parfois une réflexion sur les équipements scolaires. Retour sur différentes approches européennes et leur impact sur les aménagements des espaces dans les écoles, collèges et lycées.
En France, la Journée nationale contre le harcèlement scolaire 2021 a lieu cette année le 18 novembre (le reste du monde la célèbre le premier jeudi du mois). Le phénomène est particulièrement d’actualité, après le récent suicide de Dinah, 14 ans, dont les proches affirment qu’elle était victime de harcèlement dans son établissement à Mulhouse.
Près de 10 % des élèves français feront l’expérience du harcèlement scolaire, estime une enquête réalisée en 2018 par la DEPP (Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance).
Qu’est-ce que le harcèlement scolaire ?
Le harcèlement scolaire, que les anglophones désignent par le terme de « bullying », est une violence répétée, pouvant être verbale, physique ou psychologique. À l’école, cette violence peut être perpétrée par un ou plusieurs élèves contre un élève victime, qui peut subir des menaces, des insultes, des bousculades ou des violences physiques plus graves. Ses affaires scolaires peuvent aussi être systématiquement détériorées, volées ou cachées. On prend aujourd’hui la mesure des dégâts que ce phénomène entraîne chez les enfants, d’abord chez les victimes de harcèlement, mais aussi chez les auteurs et les témoins. Le harcèlement scolaire préoccupe de plus en plus les équipes pédagogiques, les parents et les élèves.
L’inquiétude des différents acteurs augmente aussi avec la présence grandissante des réseaux sociaux : ils jouent un rôle d’amplificateur du phénomène. Ils sont aussi devenus un outil supplémentaire pour les harceleurs (on parle de cyber-harcèlement).
La médiatisation massive de certains cas graves de harcèlement scolaire a également accéléré cette prise de conscience générale, qui a en France débuté en 2011, comme le rappelle Eric Debardieux dans cet article du quotidien 20 Minutes : « Il y a une prise de conscience continue depuis 2011 et les Assises nationales contre le harcèlement. On ne peut pas dire que rien ne se fait. Cette prise de conscience est sociétale, il n’y a qu’à voir le nombre d’articles et même de textes de lois sur la question »
Cette prise de conscience est mondiale. Chaque pays, au regard de sa culture et de son système éducatif, tente d’apporter des réponses, plus ou moins efficaces, au harcèlement scolaire. Elles ont parfois un impact sur l’aménagement des espaces. Voici un tour d’horizon des initiatives et programmes lancés dans trois pays d’Europe, dont la France.
Le programme KiVa en Finlande : jeux vidéo et contrat de classe
La Finlande a particulièrement travaillé sur la lutte contre le harcèlement scolaire. Le pays a lancé en 2007 le programme KiVa (qui signifie « Contre l’intimidation » en finnois). Ce programme s’adresse aux établissements accueillant des élèves de 7 à 15 ans. Il est basé sur des outils proposés aux enseignants, aux enfants, aux ados et aux parents, et sur une série de modules d’apprentissage, avec dix leçons. Ces leçons, dispensées en classe lors de sessions de deux heures, s’appuient sur un environnement d’apprentissage virtuel, et notamment des jeux vidéo. Chaque leçon correspond à une « règle » de classe. L’ensemble des règles de classe constituent le contrat de classe, signé par tous les élèves.
Les éléments clefs du programme KiVa sont notamment :
- La sensibilisation des élèves au rôle du « groupe » dans le harcèlement scolaire (comme le rappelle le site « Etre Parents », c’est aussi le groupe qui contribue à valoriser le harceleur)
- Le développement de l’empathie chez les élèves vis-à-vis des victimes
- La mise en place de stratégies de soutien aux victimes, et la promotion de ces stratégies pour que les élèves les adoptent
- La mise à disposition d’outils pour les victimes, afin qu’elles sachent comment mieux réagir en cas de harcèlement
Ce système donne à chaque protagoniste des éléments concrets pour mieux réagir dans les situations de harcèlement. Il est adopté aujourd’hui dans plusieurs pays du monde.
Matériel vidéo et espaces d’affichage
Le programme KiVa implique d’équiper les classes avec du matériel de visio-conférence pour visionner les vidéos. Pour les « jeux vidéo », on utilise ordinateurs ou tablettes. On peut créer une « classe mobile » pour que l’ensemble de l’établissement puisse partager ce matériel numérique, grâce aux éléments mobiles de rangement et de recharge pour les tablettes, ordinateurs et même l’ENI.
Sur le site du programme KiVa, il est conseillé de prévoir un temps pour le « Marketing », c’est-à-dire pour préparer les esprits à l’arrivée du programme et faciliter son adoption. Dans l’établissement scolaire, on pourra par exemple dédier des espaces d’affichages à l’annonce et l’explication de ce nouveau protocole. On peut aussi installer des écrans digitaux muraux dans l’école, qui diffuseront de petites vidéos explicatives.
En France, le programme pHARe et une plateforme « Non au Harcèlement »
En France, le ministère de l’Éducation a adopté plusieurs mesures contre le harcèlement scolaire depuis 2017, à commencer par l’interdiction des smartphones au collège. Le programme pHARe (programme de lutte contre le Harcèlement à l’école) a également été lancé dans six académies en 2019. Ses mesures sont depuis la rentrée 2021 étendues à tous les établissements de France. Le programme dote les établissements d’une stratégie globale d’intervention contre le harcèlement (désignation d’ambassadeur « Non au Harcèlement », formation d’équipes en interne à la prise en charge les cas de harcèlement scolaire...)
Sur la plateforme « Non au Harcèlement » , on trouve des outils téléchargeables et des protocoles pour accompagner les équipes pédagogiques dans la prise en charge des cas de harcèlement scolaire.
Parmi ces outils, il y a un « Protocole de traitement dans les écoles » : ce document propose notamment une grille de lecture et d’évaluation de « signaux faibles » pouvant laisser penser qu’un élève est victime de harcèlement à l’école. Ces signaux faibles sont très concrets. Certains semblent évidents. Pourtant, ils peuvent passer totalement inaperçus et le document d’évaluation explique très bien pourquoi. Dans certains cas, cela est lié aux espaces où les violences se déroulent, à savoir des lieux où l’adulte est potentiellement moins présent : par exemple, les couloirs et zones de passage de l’établissement, mais aussi des espaces au sein de la cantine ou de la cour de récréation.
Dans ce contexte, une réflexion sur l’aménagement de ces espaces est importante.
Décloisonner les espaces éducatifs
On pense notamment à l’ouverture des espaces concernés sur le reste de l’établissement, pour éviter les coins « cachés ».
Ainsi, pour délimiter différentes zones au sein d’un espace intérieur, on privilégie par exemple les cloisons vitrées. Cela apporte plus de luminosité. Non seulement c’est meilleur pour le moral, mais en plus cela diminue le risque de voir un élève être pris à partie dans un coin de la cantine ou d’un espace de passage.
En Belgique, groupes de paroles et réaménagement des cours de récréation
La Belgique, elle aussi, se penche depuis quelques années sur les moyens de prévenir et prendre en charge le harcèlement à l’école. Le Cairn indique ainsi que le ministère de l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a lancé en 2015 la diffusion du dispositif « Prévention et prise en charge du harcèlement, du cyber-harcèlement, des violences visibles et invisibles et des discriminations au sein de l’établissement scolaire ». Déployé dans des écoles primaires et secondaires, le dispositif s’appuie principalement sur trois éléments :
- L’instauration d’espaces de parole dans les classes : les élèves se réunissent régulièrement autour de l’enseignant pour exprimer leur état émotionnel. Ils peuvent utiliser des émoticônes indiquant les cinq émotions de base : tristesse, joie, dégoût, colère et peur. Si une émotion est négative, l’élève concerné en parle en respectant de règles de communication positive (on ne nomme pas le responsable du ressenti de l’élève, par exemple). L’idée : mobiliser l’intelligence émotionnelle du groupe pour résoudre la situation de conflit, éventuellement via la médiation. Selon les créateurs du dispositif, ces espaces de parole améliorent le climat de classe et les compétences psychosociales des élèves.
- L’organisation des espaces de la cour de récréation, avec la création de plusieurs zones, chacune dédiée à différents types d’activité : jeux de ballons, espace où l’on peut courir, jeux calmes, etc. Ces zones sont utilisées selon des règles simples et clairement exprimées. Selon les auteurs du dispositif, cela évite les « conflits de territorialité ».
- La mise en place d’un conseil de discipline en cas de transgression des règles.
Des chercheurs mandatés par le ministère belge ont considéré comme positifs les résultats de ce programme. Cependant, l’article du Cairn estime compliqué d’évaluer les effets réels de ces initiatives, car les résultats peuvent être impactés par d’autres facteurs, liés ou non à la mise en place de ces nouvelles pratiques.
Quoi qu’il en soit, certains éléments du dispositif belge rejoignent des réflexions menées en France sur le rôle des espaces et aménagements éducatifs dans le climat scolaire.
Aménager la cour de récréation pour en faire un espace inclusif
L’aménagement de la cour de récréation par exemple mobilise aujourd’hui les équipes pédagogiques et directions d’établissements. Comment faire de la cour un véritable espace d’apprentissage, mais aussi un espace de socialisation, assurant la sécurité des élèves et facilitant le travail des équipes d’encadrement ?
L’idée est de choisir aujourd’hui les aménagements de la cour de récréation pour offrir une parfaite visibilité aux équipes éducatives sur l’ensemble de l’espace. Cela permet aussi d’éviter les violences verbales ou physiques commises à l’abri des regards des enseignants.
On peut également diviser la cour en plusieurs zones, communiquant les unes avec les autres mais permettant à chaque élève de trouver sa place et de se sentir bien, grâce à des espaces assurant la mixité et l’inclusion des élèves handicapés.
Par ailleurs, végétaliser la cour de récréation et ainsi faire entrer la nature dans l’école peut aussi contribuer à apaiser les tensions.
Aménager des espaces de paroles en classe confortables et conviviaux
Aménager un espace pour des groupes de paroles en classe implique d’utiliser du mobilier scolaire sur lequel les élèves auront envie de s’installer. Ces moments de partage peuvent être émotionnellement « lourds » : les assises pourront apporter un sentiment de réconfort et de sécurité. On peut choisir des assises enveloppantes comme des poufs géants. Ou encore des tabourets oscillants pour les élèves qui auront besoin d’évacuer leur trop plein émotionnel par le mouvement.
Au regard des différentes approches de ces trois pays d’Europe vis-à-vis du harcèlement scolaire, on constate que les dispositifs de prévention et de prise en charge mettent en œuvre de nombreux leviers, tous interconnectés.
La réflexion sur des aménagements scolaires pertinents peut faire partie de ces dispositifs, même si elle n’est que l’un des éléments d’une solution globale.
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