Séverine Walker : « La classe flexible, c’est d’abord un projet pédagogique »
"Séverine Walker (« Maitresse Sev » sur les réseaux sociaux) est enseignante en classe de CE1. Elle s’est lancée en classe flexible il y a six ans, après quatre ans d’enseignement traditionnel, pour « aider concrètement chaque enfant à acquérir les compétences attendues en fin d’année scolaire, grâce à un enseignement adapté aux besoins de chacun », explique-elle. Co-autrice du livre « Enseigner en classe flexible, cycle 2 et 3 », elle anime également des formations à ce type d’enseignement. Elle partage régulièrement sur son blog ses réflexions, ses découvertes et ses outils pédagogiques. Nous dressons avec elle un bilan de la classe flexible."
Vous avez souvent dit ces dernières années que la classe flexible, ce n’est pas tous les jours facile, mais que ça vaut vraiment la peine de se lancer. Diriez-vous la même chose aujourd’hui ?
Oui, et j’insisterais aussi sur le fait que la classe flexible est un travail permanent, où rien n’est figé. C’est important de bien comprendre que ce mode d’enseignement est un cheminement, qui suppose pour l’enseignant de régulièrement remettre en question ses pratiques éducatives et sa pédagogie. La communauté éducative a commencé à s’intéresser à la classe flexible en France il y a six ans, parce qu’elle faisait écho à leurs questionnements concernant leur pratique, leur pédagogie. Pour moi, la classe flexible fut une révolution... même si ça n’est pas toujours rose.
Comment votre vision a-t-elle évolué ?
Aujourd’hui, j’ai une vision de la classe flexible plus nuancée qu’il y a six ans. Au tout début, j’ai pu penser que c’était la solution à tout. Mais maintenant, je vois bien que certains profils de classes ne permettent pas d’adopter autant de « flexibilité » qu’on le souhaiterait. Il faut parfois limiter l’autonomie que l’on voulait au contraire pousser chez les enfants. Par exemple, il m’est arrivé de travailler avec une classe réunissant des profils qui auraient dû bénéficier de davantage d’accompagnements spécifiques. Certains élèves jouaient avec les assises au lieu de les utiliser. Il faut s’adapter à la réalité, faire le deuil de certaines de nos initiatives... et parfois même faire un peu marche arrière. Ce n’est pas une ligne droite. L’idée est de progresser à petits pas, d’accepter de ralentir voire de s’arrêter, mais toujours dans le cadre d’une réflexion pédagogique. Travailler en flexible, ce n’est pas utiliser des solutions toutes faites. C’est une façon de réfléchir aux solutions possibles, dans un contexte donné.
Quelle est la place du mobilier flexible dans cette réflexion ?
Le mobilier et les aménagements viennent concrétiser la réflexion et le projet pédagogique. Sans projet pédagogique, il n’y a pas de classe flexible. Des collègues m’écrivent parfois pour me dire qu’ils ont « essayé la classe flexible, mais ça ne marche pas ». Quand je leur demande ce qu’ils veulent dire par là, ils m’expliquent souvent qu’ils ont essayé tous les aménagements possibles : les ilots de travail, l’organisation de la classe en zones d’activités, les assises dynamiques comme les tabourets oscillants... Mais rien ne marche, la classe n’avance pas, ils sont perdus. Et souvent, quand je discute avec eux, je comprends qu’il n’y a pas eu suffisamment de réflexion préalable sur la pédagogie, sur les besoins des élèves et la façon dont ces besoins peuvent être adressés par l’organisation de l’espace, la disposition du mobilier, le choix des équipements à mettre à disposition des enfants etc. Or, avant toute chose, c’est cette réflexion, cette démarche, qui définit la classe flexible.
Comment résoudre cet écueil, et insister sur cet aspect de « démarche » justement ?
Ce n’est pas toujours facile car il y a eu un « effet de mode » de la classe flexible, avec toutes ces belles images partagées sur les réseaux sociaux : c’est sûr que la classe flexible, c’est très beau, ça donne envie, avec ces assises dynamiques, ces couleurs, ces zones d’activités etc. Alors que ce qui définit vraiment la classe flexible, c’est la pédagogie qu’il y a derrière. On ne peut pas parler de classe flexible sans réflexion sur la pédagogie, qui doit être flexible elle aussi. D’ailleurs, on peut voir des images de salles de classes aménagées avec du mobilier scolaire « traditionnel » et qui n’ont pas l’air de classes flexibles... alors qu’elles le sont beaucoup plus que d’autres salles, dont l’aménagement présente des coussins et des canapés de toutes les couleurs, mais sans reposer sur une pédagogique flexible.
Est-ce que cet effet de mode « retombe » ?
Oui, cet effet de mode retombe progressivement car beaucoup d’enseignants ont compris que l’aspect « matériel » ne résout pas tout, loin de là. Aujourd’hui, ils se lancent en classe flexible non pas parce que c’est beau, mais parce qu’ils jugent que c’est utile et qu’ils ont besoin d’aborder l’enseignement différemment. Ils sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à la démarche de pédagogie flexible, et il existe aujourd’hui plusieurs formations qui peuvent les aider à adopter l’enseignement flexible, avant même d’envisager d’installer de nouveaux équipements. J’anime moi-même certaines de ces formations. L’idée est en général de travailler sur l’organisation pédagogique et l’aménagement de l’espace en repensant la pratique. Les enseignants repartent avec des outils qu’ils ont construits eux-mêmes à partir de trames vides. Ils pourront poursuivre la démarche une fois de retour dans leur contexte habituel.
Pensez-vous qu’il est possible de faire du « semi-flexible » ?
Je dirais qu’il n’y a pas de semi-flexible, tout simplement parce qu’on fait de la classe flexible dès que l’on commence à réfléchir aux moyens de donner aux élèves plus d’autonomie, plus de liberté de mouvement... Bref, dès qu’on prend en compte les besoins des élèves. Un jour, alors que j’animais une formation, j’ai demandé à des participants si certains, parmi eux, enseignaient déjà en classe flexible. Sur les 22 enseignants présents, seuls deux ou trois ont levé la main. Ensuite j’ai demandé quels étaient ceux qui prenaient en compte les besoins des élèves dans leur pédagogie. Tous ont levé la main. Je leur ai dit qu’ils faisaient donc tous de la classe flexible !
A partir du moment où l’on propose de l’autonomie dans un domaine, on fait du flexible. Dès que l’on réfléchit aux postures et aux assises, on fait du flexible.
Avez-vous des exemples d’élèves qui ont vraiment été aidés par la classe flexible ?
Oui je repense à un élève de CE1, qui avait souvent besoin de bouger et qui dans la classe flexible pouvait prendre des initiatives, faire preuve d’autonomie. Et puis la crise sanitaire est arrivée. Quand l’école a rouvert, nous avons suspendu l’enseignement flexible, pour revenir à une classe traditionnelle. L’élève était très mal à l’aise : il faisait tomber des objets exprès pour bouger, prétextait devoir se rendre aux toilettes plusieurs fois par jour pour pouvoir se déplacer... Sa concentration baissait.
Quand on a pu reprendre le flexible, il s’est à nouveau stabilisé. Les parents ont clairement vu la différence de résultat entre les deux types d’enseignement.
Les parents justement, comprennent-ils mieux la classe flexible aujourd’hui qu’il y a quelques années ?
Disons qu’ils peuvent aujourd’hui être rassurés par les nombreux témoignages de parents satisfaits. Mais quand je présente la classe flexible à la rentrée, il y a encore toujours quelques réactions de parents inquiets. Cependant, cela s'arrange vite dès les premières semaines d’école. Ils apprécient de voir que les enfants développent leur autonomie. Quand les enfants sont heureux et progressent, c’est le meilleur argument finalement. Bien sûr, certains parents restent réticents, pour eux ce n'est pas « la vraie école ». Mais c'est une minorité.
L’enseignement, d’une manière générale, est en pleine transformation : y a-t-il de nouveaux défis que la classe flexible peut aider à relever aujourd’hui, et qui n’existaient pas à ses débuts ?
Oui, on entend de plus en plus souvent dire qu’il faut « placer l’élève au centre des apprentissages », mais finalement, ça veut dire quoi ?... Avec la classe flexible, cette réflexion devient très concrète. Quand je me suis lancée en flexible il y a six ans, c’était avant tout pour aider chaque enfant à acquérir les compétences scolaires qu’on attend de lui à la fin de l’année. Ensuite, j’ai réfléchi de manière plus large, à quelle était ma place en tant qu’enseignante, quelle est la place de mes élèves, et tout ce que cela supposait : la co-construction, l’autonomie... Cela soulevait des questions techniques et aussi très concrètes finalement, comme : « Est-ce que je dois rester devant le tableau ? » « Est-ce que c’est mieux si je circule dans la classe ? » « Est-ce que je dois m’assoir, rester debout ? ». Les questions concernent aussi la place des élèves, non seulement au sens propre mais aussi au sens figuré du terme : « Est-ce que je laisse les élèves parler à ce moment-là de mon cours ? » Parfois, je leur demande de me dicter la leçon pendant que je prends notes. Je leur dis de me formuler ce qu’ils ont compris. J’écris ce qu’ils me disent d’écrire. Avec ce type d’initiatives, la classe flexible apporte des réponses très concrètes à cette question de la place des enfants dans les apprentissages.
En France, le programme ‘Notre école faisons-la ensemble’ veut soutenir les initiatives pédagogiques innovantes, avec trois enjeux de la « transformation éducative » : la réussite de tous les élèves, la réduction des inégalités, et le bien-être. Même si la classe flexible n’a pas réponse à tout, pourrait-on quand même dire qu’elle aide à relever ces différents défis ?
La Classe flexible a en effet un rôle à jouer sur ces différents aspects. Elle aide à développer les compétences et le bien-être des enfants, et aussi de l’enseignant ! J’ai également choisi de me lancer dans la classe flexible pour mon propre bien-être : les cours magistraux ne me convenaient pas, et je ne suis pas la seule dans ce cas.
La pédagogie flexible peut répondre à des problématiques de contexte et d’environnement. C’est compliqué car ce n’est pas une recette infaillible, c’est aussi de l’expérimentation. Il faut tester, essayer, recommencer... Mais toujours en s’appuyant sur une solide base de réflexion pédagogique avant d’investir dans du matériel.
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