Éducation sensorielle : quels sont les bienfaits de l’éveil des sens en milieu scolaire ?

"L’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût, la vue… nos cinq sens jouent un rôle au quotidien, ils guident nos perceptions et nos émotions. Alors quelle place occupent-ils dans le développement de l’enfant à l’école ? Estelle Jakubowski, psychomotricienne libérale, nous éclaire à ce sujet."

A partir de quel âge est-il pertinent de favoriser le développement des sens et comment cela évolue-t-il ?

La sensorialité se développe dès la naissance, et même in utero. Le bébé vit et évolue à travers ses sens. C’est ainsi qu’il va se développer au niveau moteur, intellectuel et émotionnel. Entre 0 et 3 ans, les bébés découvrent le monde en explorant leur environnement : ils manipulent, mettent à la bouche, et s’amusent avec quelconque objet ou jouet. On parle de sensori-motricité. Le bébé intègre des schémas moteurs, développe sa curiosité, affine ses goûts, créé des compétences et une personnalité à travers ses expériences sensorielles et motrices.

Ensuite, l’enfant découvre le rapport aux autres, l’affirmation de soi, et développe ses compétences relationnelles, pré-acquises dès la naissance à travers le lien qu'il a avec ses parents, et notamment avec sa mère. Dans un troisième temps, aux alentours de 6-7 ans, vient le stade de la raison : l’enfant investit davantage la sphère intellectuelle avec le besoin de comprendre et d’intellectualiser ses connaissances. C’est pourquoi, il est utile de favoriser le développement dès le plus jeune âge.

Quel rôle vont alors jouer les sens à l’école ?

Dans le milieu scolaire, les sens vont occuper une place importante. Le fait d’avoir conscience de ses sens et de leur potentiel, d’avoir des sens éveillés, va permettre une meilleure présence cognitive, psychique et physique. De là, en découle une meilleure disponibilité pour apprendre.
L’enfant sera plus enclin à mobiliser ses fonctions exécutives – le raisonnement, la logique, la mémoire, le langage, etc. Cela favorise également des compétences relationnelles et le développement de l’affection.

De quelles façons peuvent s’exprimer les difficultés d’un enfant à les développer ?  

C’est le cas des enfants présentant une différence dans leur fonctionnement sensoriel cérébral, par exemple dans des contextes d’hypersensibilité ou d’hyposensibilité. Souvent, cela s’observe par l’expression de réactions émotionnelles et comportementales plus ou moins intenses lors des activités sensorielles. On peut observer des enfants crier, pleurer, montrer des réticences, une crainte, de la méfiance… comme si l’enfant découvrait pour la première fois un sens, qu’il en prenait conscience, ou au contraire, que la stimulation sensorielle lui était insupportable.

L’enfant peut aussi exprimer sa gêne corporellement : mettre ses mains sur ses oreilles, se cacher les yeux pendant une stimulation visuelle...

Ces difficultés sensorielles, dues à un manque de stimulation et d’éveil ou dues à un développement cérébral différent, ont des répercussions sur les apprentissages scolaires ainsi que sur le développement des compétences relationnelles.

Pour chacun des cinq sens, quelles sont les compétences qui vont être développées par leur stimulation ?

La stimulation de l’ouïe contribue au développement de l’attention, de la mémoire auditive, et de la discrimination auditive. Cette dernière est une capacité cognitive qui nous sert au quotidien et nous permet de filtrer les informations auditives environnantes pour pouvoir nous concentrer sur l’information la plus importante.

Le toucher, est davantage en lien avec l’attachement. Il favorise les compétences relationnelles, sociales, mais aussi l’aisance corporelle et la faculté à ajuster sa posture.

A travers le goût, l’enfant stimule sa sensibilité orale, et ainsi, affine son vocabulaire par le biais de l’expression des textures et des ressentis qui en découlent. Aussi, le développement de la motricité bucco-faciale est lié à celui de la motricité fine.

L’odorat joue lui aussi un rôle dans le développement de l’attachement. Il créé des repères nécessaires au sentiment de sécurité. Il s’agit du premier sens que le bébé développe.

Enfin, la vue, joue un rôle important dans le développement du traitement visuo-spatial – repérage dans l’espace, perception des distances, des profondeurs, qui sont liés à la logique, au raisonnement et à la déduction de problèmes. Sa stimulation contribue au développement de l’attention, de la mémoire visuelle et de la discrimination visuelle.

Quelle organisation pédagogique ou aménagements sont les plus propices au développement des sens ?

L’une des recommandations est de mettre le plus de temps de mouvements possibles en classe, même si ce sont des temps de quelques minutes seulement. La motricité permet de créer des connexions neuronales. Le mouvement joue un rôle important dans l’intégration du schéma corporel. Ainsi, plus l’enfant a une connaissance de son corps précise, plus il l’utilise de façon efficace et harmonieuse. Aussi, laisser des temps d’exploration libres et autonomes contribue au développement de la confiance en soi, de la créativité, et des compétences intellectuelles.

Il est préférable de limiter la surstimulation visuelle – par exemple, d’afficher trop de supports visuels au mur, avec trop de couleurs, etc. De même pour l’environnement sonore, il vaut mieux se passer de certains bruits au maximum, comme les ventilateurs, le bruit extérieur en laissant les fenêtres ouvertes, pour éviter les impacts négatifs chez les enfants. Des études ont montré qu’un environnement bruyant affecte négativement les apprentissages, en particulier le langage et la lecture. L’élève peut manquer jusqu’à 25 % des mots dits par l’enseignant en raison d’une classe trop bruyante.

Enfin, je recommande aux enseignants de suivre des formations dédiées à la sensorialité et aux apprentissages, et d’envisager des temps collaboratifs où professionnels de santé et enseignants échangeraient davantage pour construire des projets pédagogiques ensemble et adaptés aux besoins sensoriels des enfants.