La ludopédagogie, une clé pour lutter contre le décrochage scolaire et développer des compétences transversales

Véritable porte d’entrée vers une approche qui remet le partage et le plaisir au cœur de la démarche pédagogique, la ludopédagogie s’appuie sur la théorie des intelligences multiples. Grande absente des programmes scolaires, elle représente pourtant un levier pédagogique à fort potentiel.  

La ludopédagogie ou l’apprentissage par le jeu est une méthode innovante qui trouve progressivement sa place au sein des écoles du primaire jusqu’au lycée. Par le jeu, l’enfant est ainsi capable de mobiliser cinq gestes mentaux : l’attention, la compréhension, la mémorisation, la réflexion et l’imagination. Des soft skills indispensables pour l’évolution scolaire des élèves. Renaud Keymeulen, pédagogue et ludopédagogue et auteur du livre Motiver ses élèves grâce aux intelligences multiples nous éclaire sur le sujet.  

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’intelligence multiple et son intérêt dans le cadre de l’enseignement ? 

Renaud Keymeulen : L’idée est de prendre en compte dans sa pratique pédagogique les 8 types d’intelligence ou capacités, que nous possédons tous à des niveaux différents. C’est une véritable grille de lecture pour l’enseignant. Comprendre les intelligences multiples revient à réaliser de la multipédagogie. 

Bien entendu, l’enseignant opère des choix pour mener à bien son programme et ses objectifs, et il ne serait par exemple pas opportun de glisser de l’intelligence musicale partout !  

Toutefois, se placer dans cette posture multipédagogique signifie penser son cours en identifiant les points de blocage éventuels pour les élèves. Et s’interroger sur une question centrale : « De quelle façon je pourrais faire passer ce message autrement ? ».  

>> Lire aussi : Les différentes formes d'apprentissage.

Quels sont les liens avec les modèles de pédagogie active tels que Montessori ou Freinet et le concept d’intelligence multiple ? 

R. K. : Montessori ou Freinet se sont interrogés sur des façons alternatives d’enseigner en partant des besoins de l’enfant. La pédagogie des intelligences multiples dans laquelle on retrouve la ludopédagogie réalise le même exercice mais dans une approche que l’on pourrait qualifier de « semi-active ». Cette posture, plus nuancée, est finalement très intéressante car elle permet de s’insérer en douceur dans le tissu de l’enseignement traditionnel ce qui est rassurant pour les enseignants mais aussi pour les parents. L’objectif n’est pas de renverser les pratiques des enseignants mais au contraire de privilégier leur confort ainsi que celui des élèves en respectant leur identité, leurs besoins et leur style d’enseignement personnel.  

En tant que ludopédagogue, pourriez-vous nous expliquer les bénéfices de cette approche pour les élèves ? Et pour les enseignants ? 

R. K. : La liste est longue ! Grâce à la ludopédagogie, l’enfant bénéficie d’un environnement où il retrouve le droit à l’erreur. Il n’y a ni évaluation, ni sanction, ni jugement.  

C’est un cadre qui permet de lutter contre le décrochage scolaire mais aussi de développer des compétences transversales. Par le jeu, l’enfant apprend la coopération, l’estime de soi et le respect de l’autre. Pour l’enseignant, c’est un outil de travail et c’est tout simplement plus agréable de sortir une boîte de jeu plutôt qu’une photocopie d’exercices ! Lorsqu’on travaille avec un public fragilisé, le jeu peut véritablement réparer des blessures engendrées par l’école ou la vie. 

Concrètement, de quelle façon l’enseignant doit-il penser son cours pour atteindre ses objectifs d’apprentissage ?  

R. K. :  Avant même d’organiser une séance de jeu l’enseignant doit réfléchir au lieu dans lequel il va la proposer. La ludopédagogie repense les espaces d’apprentissage. A l’échelle d’une classe, une disposition en îlots de travail permettant un accès libre au matériel didactique est à privilégier. Ensuite plus on pense en termes de flexibilité et de confort des élèves mieux c’est ! Il est essentiel de savoir comment sélectionner un jeu pertinent. Il y a de véritables parcours ludopédagogiques de jeu à proposer pour développer une compétence. 

Afin de les guider dans leurs choix et gagner un temps précieux, les enseignants peuvent consulter le Centre de ludopédagogie numérique qui classifie une sélection de jeux selon les intelligences multiples.  

Vous avez développé des centres ludopédagogiques dans plusieurs écoles en Belgique, comment y est pensé l’aménagement ? 

Renaud Keymeulen : Nous avons réfléchi en termes de mutualisation du matériel et de l’espace avec une salle dédiée à la ludopédagogie au sein de l’école et à disposition de chacun. Dans les établissements qui manquent d’espace, on peut tout simplement imaginer un roulement dans le gymnase ou le réfectoire avec du mobilier modulable. Par exemple, nous avons réhabilité un débarras très sombre avec un peu de matériel. C’est aujourd’hui l’un de nos plus beaux centres ! Nous avons aménagé un espace propice au jeu avec des canapés et quelques poufs. De nouvelles étagères permettent d’avoir une vue d’ensemble sur les jeux disponibles pour susciter l’envie de jouer lorsqu’on entre dans la pièce. L’ambiance globale est chaleureuse et accueillante, c’est un espace convivial ! 

Quels sont vos conseils pour la mise en place d’une pédagogie qui prenne en compte les différentes formes d’intelligence au sein d’une classe ? 

Renaud Keymeulen : A mon sens, l’environnement et le matériel pédagogique sont un vrai point de départ, la salle flexible est presque un prérequis !  

Nous travaillons aussi à la création d’un village de la pédagogie et de l’apprentissage à Carlsbourg en Belgique. L’objectif est d’avoir une vitrine des différents types de pédagogies et des ressources possibles. L’enseignant pourra se faire une idée concrète de l’organisation qu’aurait un cours de maths par exemple, dans une classe flexible avec du matériel approprié. De quoi donner les clés pour se lancer sans hésitation dans la multipédagogie !