Regards croisés sur « La Classe de Demain » de l’école Henri-Sellier à Colombelles
La mairie de Colombelles et la DANE de l’académie de Caen reviennent sur « La Classe de Demain », un projet né au sein de l’École élémentaire Henri-Sellier suite à l’initiative d’enseignantes de l’école. Elles ont commencé il y a plus de trois ans à réaménager les espaces dans leurs classes à l’aide du matériel dont elles disposaient, d’une bonne dose de bon sens, de pas mal d’audace et de beaucoup de cœur. Depuis, elles ont bénéficié d’équipement innovants. Leur établissement école, située en REP, est désormais régulièrement visitée par les représentants d’autres communes, qui viennent y chercher l’inspiration pour leurs propres aménagements scolaires.
Retour sur un projet qui fait désormais figure d’exemple.
L’histoire commence vers 2015, quand les enseignantes de l’école élémentaire Henri-Sellier à Colombelles entament ensemble une « réflexion, pour voir comment nous pourrions enseigner différemment en CP, en respectant plus le rythme d’apprentissage de chaque élève», explique l’une d’elles sur le forum du site web de Céline Alvarez. Rapidement, elles lancent dans leurs classes respectives une petite révolution, tout en douceur. Pas à pas, avec le matériel dont elles disposent, elles réaménagent les espaces pour les organiser en micro-zones. Les différents apprentissages et activités sont ainsi pratiqués en petits groupes, voire en duo.
En 2017, la ville de Colombelles se trouve pour sa part dans une phase de réflexion sur l’accompagnement numérique dans la classe. Au service « Enfance, Éducation, Jeunesse et Sport » de la mairie, on explique : « Nous souhaitions réinterroger les enseignants sur ce sujet, dans le souci de les doter de moyens complémentaires à ceux qu’ils possédaient déjà. Dans ce contexte, la ville s’est rapprochée de la DANE. Il est rapidement apparu que les nouveaux outils numériques mis à la disposition des enseignants pour les élèves pouvaient impliquer la réorganisation de l’espace dans la classe. Une réflexion sur la nécessité d’un mobilier plus flexible et modulable a vite commencé ». Pour la mairie de Colombelles, cette réflexion revêt une importance particulière : « Nos écoles sont en REP. La ville a la volonté d’accorder des moyens pour favoriser la réussite de tous les élèves, et d’être dans l’expérimentation et l’innovation ».
Équiper les classes en outils numériques et mobiliers innovants
C’est dans ce contexte que la mairie de Colombelles, qui échange régulièrement avec la direction de l’école Henri-Sellier, a connaissance de l’initiative des enseignantes. Cette année 2017, un projet officiel se met en place pour équiper ces classes en outils numériques et mobiliers innovants adaptés à leur organisation.
Alors que le projet poursuit sa route (il doit s’achever en 2020 avec l’équipement de classes de cycle 2 et 3 de l’école), nous avons souhaité recueillir les témoignages et impressions de la DANE et de la mairie de Colombelles, sur ce sujet et sur l’aménagement des espaces scolaires en général.
Propos recueillis auprès de Mesdames Dalmasso et Lefèvre-Prokop pour le service Enfance, Éducation, Jeunesse et Sport de la mairie de Colombelles, et de Mesdames Siffre et Bretos pour la DANE.
Quel a été votre sentiment en prenant connaissance de l’initiative des enseignantes de CP à l’école élémentaire Henri-Sellier ?
La mairie : Nous avons d’emblée ressenti beaucoup d’intérêt pour la démarche et l’implication des enseignantes : elles avaient mené un très important travail de réflexion préalable sur la meilleure façon d’accompagner les enfants dans leurs apprentissages. Pendant l’année scolaire 2017-2018, elles ont ainsi réussi la mise en œuvre d’un projet mûr et réfléchi, pour répondre aux besoins et problématiques de leurs élèves. Il était très intéressant de voir comment elles avaient reconfiguré leur classe en utilisant le mobilier existant, mais aussi en supprimant : par exemple, leurs bureaux et le nombre de tables.
La DANE : Ce qui était impressionnant dans ce projet de Colombelles, c’est de voir que, dès le début, les enfants ont été perçus dans toutes leurs dimensions et leurs spécificités. Par exemple, un enfant que l’on considère comme « agité » a finalement le droit de bouger : n’étant plus considéré comme le « perturbateur » de la classe, il n’est plus à l’écart des autres élèves, mais bouge « avec eux ». Ce projet prend ainsi en compte la place du corps de l’enseignant et des élèves dans la classe. Nous avons passé une matinée à observer une classe de CP dans cette école l’année dernière au mois de novembre. L’aménagement et la pédagogie qui s’y rapporte offrent aux élèves une autonomie remarquable. L’ambiance est détendue, et les élèves concentrés sur leur tâche : ils ne sont pas noyés au milieu d’un groupe, mais travaillent en binôme sur une tâche qu’ils sont seuls à accomplir. Ils semblent naturellement responsabilisés par cette organisation et leurs professeures confirment que les apprentissages se font plus rapidement : les élèves parvenaient globalement à lire vers le mois de novembre, et non plus en février comme c’était le cas avec l’ancien système.
Comment s’organise votre implication, dans un projet tel que celui-ci ?
La mairie : Le projet de Colombelles s’inscrivait dans une réflexion plus globale, que nous menions dans le cadre des 2es Assises de l’Éducation (novembre 2017-avril 2018), qui ont accueilli un groupe de travail spécifique sur le thème « La classe de demain : propositions pour un projet numérique innovant intégrant la modularité des espaces ». Au-delà des Assises de l’Éducation, la première phase du projet s’est poursuivie jusqu’en juillet 2018 afin de préparer la rentrée de septembre. Ce projet doit se décliner en trois étapes jusqu’en 2020. Il a impliqué plusieurs réunions entre la Ville, une partie de l’équipe de l’école, l’IEN et la DANE avec laquelle nous avons beaucoup dialogué. Ce projet a également donné lieu à la signature d’une convention formalisant les partenariats et engagements de toutes les parties prenantes.
La DANE : Habituellement nous sommes contactés par l’IEN de la circonscription ou le conseiller pédagogique et/ou des représentants du territoire (mairies, communautés d’agglomérations…), qui viennent nous voir à l’Éduclab, où nous leur présentons du matériel en démonstration et leur expliquons « grandeur nature » comment ça fonctionne. Ensuite nous pouvons nous rendre dans les écoles ou établissements concernés pour discuter avec les enseignants. À Colombelles, le projet était déjà très avancé. Les enseignantes avaient directement travaillé avec le conseiller pédagogique, l’IEN et la mairie.
Où en est le projet aujourd’hui ? Comment la mairie en organise-t-elle le suivi, après l’installation du matériel et la finalisation des espaces ?
La mairie : Tout projet comporte des aléas et doit se réajuster en permanence. La détermination du choix du mobilier puis les commandes ont pris un peu plus de temps que prévu, certains partenaires de l’Éducation nationale ont changé… L’essentiel est de toujours pouvoir réimpulser une dynamique. Nous avons reçu l’ensemble du mobilier entre 2018 et début 2019. Nous allons maintenant amorcer le bilan de la phase 1, cela implique des rencontres avec les équipes (enseignantes, directeur de l’école, IEN, DANE) pour en discuter.
Nous passerons ensuite à l’équipement de la suite du cycle 2, le cycle 3 étant prévu pour 2020. Notre objectif demeure conforme à l’esprit initial du projet : il s’agit avant tout d’innover et d’expérimenter de nouvelles organisations des classes.
La commission scolaire veut prendre acte et visualiser ce qui a été fait, afin de réaliser un bilan et réfléchir à la suite.
À travers ce projet, peut-on parler d’une prise conscience, par les élus et les décideurs, de l’importance de l’aménagement des espaces éducatifs et de son impact sur l’enseignement et les apprentissages ?
La mairie : Le souhait d’offrir de bonnes conditions de travail aux élèves et aux enseignants a toujours été présent, mais la réflexion sur l’aménagement est réellement apparue en 2017, avec celle portant sur l’usage du numérique en classe et sa corrélation avec l’organisation des espaces. Les élus de la commission scolaire étaient en tout cas convaincus du projet de la Classe de Demain quand ils ont voté ce budget en avril 2018. Nous avons aussi la chance d’avoir un maire très « moteur » dans tout ce projet.
La DANE : De nombreux collèges aujourd’hui s’interrogent sur l’évolution des différents espaces : CDI, salles de permanence et d’informatique... Les professeurs des écoles sont également très demandeurs d’accompagnement pour modifier leurs espaces en classe et leurs pratiques. On peut dire aujourd’hui que certains professeurs et enseignants « ont dépassé les habitudes mentales » liées à des pratiques traditionnelles qui parfois ne font plus sens. Il y a un tel bonheur chez les enseignants qui imaginent de nouveaux aménagements et solutions. Ils ont tellement d’idées !
Par ailleurs, on craint toujours de voir un projet s’essouffler, par exemple après le départ de ses initiateurs. Mais à Colombelles, on voit que très vite ces projets sont devenus ceux de toute l’école. Cela aussi montre le début d’une prise de conscience « globale ».
Comment s’enrichit votre réflexion sur les aménagements scolaires ?
La mairie : Beaucoup de ressources (sites web, témoignages…) sont mises en ligne par la DANE. Nous tenons aussi à être présents sur les salons spécialisés dans le rôle du numérique à l’école, (comme EduSpot, Normand.e.day. Et puis nous visitons bien sûr régulièrement le site Archiclasse ! D’autres projets représentent aussi une grande source d’inspiration pour nous, comme le projet « Bouge Ta Classe » à Élancourt dans les Yvelines. Mais aujourd’hui, on remarque que l’école de Colombelles est devenue elle-même une source d’inspiration : elle est régulièrement visitée par d’autres écoles, ou les représentants d’autres communes.
La DANE : On constate un « effet pollen » de projets comme celui de Colombelles. D’autres équipes viennent voir sur place, discuter, comprendre, et réfléchissent aux moyens d’appliquer ces pratiques chez eux.
Travaillez-vous d’ores et déjà sur de nouveaux projets ?
La mairie : Le projet de Colombelles doit se poursuivre jusqu’en 2020, avec les classes de cycle 2 et 3. C’est notre priorité, nous voulons aller jusqu’au bout. Ensuite, nous aviserons en fonction du retour sur expérience. Mais nous souhaitons en tout cas continuer à investir dans le matériel innovant, la mobilité du mobilier, sans oublier le numérique avec bien sûr des compléments en termes de tablettes ou videoprojecteurs, mais aussi des robots comme Bluebot (pour le CP ou le CE1) et Thymio (pour le cycle 3), pour apprendre à programmer.
La DANE : Pour notre part, nous travaillons en ce moment avec les écoles élémentaires de Cabourg et de Deauville, et sommes de plus en plus sollicités par d’autres communes en recherche d’informations pour mettre en place des projets d’aménagement. Nous intervenons, avec les IEN, les conseillers pédagogiques et les représentants des mairies, d’abord en réunion pour les conseiller dans la préparation du projet, puis en formation des enseignants. C’est le travail en équipe avec tous les acteurs concernés ainsi qu’une une bonne circulation de l’information qui font la force de ces projets.
Crédits Photos : CC BY-NC-SA, DANE Caen-2019
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