Au collège Bel Air à Mulhouse, un dispositif ULIS place les jeunes au cœur du projet d’inclusion
Au collège Bel Air à Mulhouse, un dispositif ULIS place les jeunes au cœur du projet inclusif de l’établissement et de leur propre projet de scolarisation. Le dispositif ULIS du collège Bel Air à Mulhouse est né il y a six ans. Porté par l'équipe enseignante, éducative et la direction de l’établissement, le projet a mûri au fil des 4 dernières années. Aujourd’hui, le collège peut accueillir jusqu’à 24 élèves présentant un handicap, majoritairement cognitif avec deux dispositifs. Enseignante et coordinatrice de ce dispositif, Morgane Grelet revient avec nous sur l’évolution du dispositif et de ses aménagements, et sur son objectif premier : faire de ces jeunes collégiens les acteurs de leur propre projet d’inclusion, et d’orientation.
« Ici ce n’est pas une classe comme les autres. Il y a des élèves qui travaillent dans cet espace, là-bas, et d’autres dans ce coin-là. Chacun a son apprentissage. Parce qu’on a tous un handicap différent ». C’est ainsi que l’un des élèves soutenu par l'ULIS du collège Bel Air définit l’espace flexible où il travaille durant l’année sur différents projets et matières. Comme les autres jeunes de son groupe, il en situation de handicap du fait de troubles des fonctions cognitives.
On retrouve son témoignage et ceux de ses camarades dans un reportage réalisé dans le cadre du projet Les fourmis – construire ensemble l’école de demain, qui réfléchit notamment aux nouveaux aménagements des espaces éducatifs. Dans le reportage, Morgane Grelet, coordinatrice ULIS au collège, explique le fonctionnement du dispositif au quotidien. Nous avons souhaité revenir avec elle sur les enjeux qu’il représente en termes de pédagogie et d’aménagements.
Interview.
En quoi consiste le dispositif ULIS du collège Bel Air ?
C'est une Unité Localisée par l'Inclusion Scolaire, un dispositif. Il permet d’accueillir dans l’établissement des élèves âgés de 11 à 16 ans, en situation de handicap le plus souvent cognitif, avec parfois des troubles autistiques ou psychologiques associés. Ils sont parfois accompagnés à l’extérieur par d’autres dispositifs, du secteur médico-social. C’est un projet concerté, autour du jeune, entre tous les partenaires qui est construit : la famille, l’établissement, les professionnels médico-sociaux concernés comme le psychomotricien, l’orthophoniste, le psychologue…
L’idée première est d’inclure ces jeunes au collège et de construire avec eux un projet d’orientation, tout en permettant la poursuite des apprentissages scolaires et sociaux. Quel que soit leur handicap, ici les enfants sont d’abord des collégiens. Le dispositif les accompagne grâce à des emplois du temps et parcours adaptés au handicap aux besoin de l'élève et ce, grâce à un soutien spécifique dans les apprentissages.
Le collège accueille, aujourd'hui, deux groupes, chacun de 12 élèves maximum. En cette rentrée 2019, mon groupe compte neuf élèves mais d’autres sont susceptibles d’être intégrés en cours d’année. Le niveau de chaque groupe est très hétérogène. Il varie beaucoup, selon les âges et les profils de ces jeunes, qui ont des niveaux de compétence allant du CP à la 3e et variable d'un domaine à un autre. Chaque enfant a des heures spécifiques de présence au sein de l’espace flexible dans le cadre du dispositif : les élèves peuvent passer de 30 à 75% de leur temps en classe d’inclusion et le reste du temps, ils sont en ULIS ou bénéficient d'heures dédiées au groupe (technologie et EPS).
Comment avez-vous réfléchi à l’aménagement de votre salle ?
Les différences d’âge et de niveaux entre les enfants, leurs troubles et donc leurs besoins différents ainsi que leurs motricités spécifiques ou leurs capacités de concentration, impliquent de bien réfléchir aux aménagements. Les élèves doivent être en mesure de se déplacer facilement et de travailler côte à côte sans se gêner les uns les autres. Cela a abouti à mettre en place une classe flexible. Mais de toute façon nous sommes en REP, où on a compris depuis longtemps que faire classe en espace traditionnel, en face à face, ça ne fonctionne pas toujours !
Comment avez-vous procédé à l’installation des différents matériels dans la classe ?
Au départ, nous sommes partis d’une salle classique, avec des tables individuelles ou doubles et des chaises. Notre spécificité était uniquement d’avoir un point d’eau et un tableau mobile en hauteur. Les élèves aimaient bien travailler en groupe, alors on a commencé par réunir les tables en ilots dans la classe.
Mais certains voulaient aussi pouvoir s’isoler de temps en temps, alors on a écarté quelques tables, qu’on a placées face au mur : cela permettait aux élèves de mieux se recentrer.
L’année suivante on a investi dans des ballons qui facilitent la concentration des jeunes présentant des troubles de l’attention. Nous avons continué à nous documenter sur la classe flexible, et surtout à observer et tester avec eux pour déterminer ce qui fonctionne bien, ou moins bien.
Chaque année, on réfléchit à de nouveaux matériels et aménagements, en fonction des remarques des élèves et de nos observations. L’un a, par exemple, demandé à ajouter des cloisons à sa table, pour mieux s’isoler sur les temps de travail courts qui demandent de la concentration. Il fait des allers et retours entre cette table (qu’il appelle sa « maison ») et sa place dans notre espace en U (où chacun a une table attitrée). Ce genre d’installation est aussi adaptée aux jeunes présentant des troubles autistiques : ils ont besoin de se sentir sécurisés au sein du groupe mais aussi de pouvoir s’isoler et se mettre en léger retrait.
Les jeunes sont très autonomes vis-à-vis du matériel, qu’ils ont l’air de s’être pleinement approprié.
Le matériel et son mode d’utilisation doit aussi favoriser l’autonomie des élèves. C’est d’autant plus important qu’ils doivent pouvoir retrouver leurs marques facilement dès leur entrée dans notre espace flexible. Ce n’est pas évident car, au fur et à mesure que l’on développe le temps d’inclusion d’un élève, son temps de présence dans le groupe diminue : il faut s’adapter. Pratiquement, cela signifie que, quand il revient dans la classe flexible, l’enfant doit pouvoir poursuivre un projet précédemment commencé, et retrouver ses affaires pour continuer ce travail. Le matériel doit être rangé mais facilement accessible pour lui, pour qu’il puisse l’atteindre tout seul si besoin, en fonction de l’activité qu’il suit.
Dans la vidéo, les élèves expliquent ce que leur apporte tel ou tel aménagement. Ils savent parfaitement les utiliser. Comment leur présentez-vous le matériel ?
Je présente le matériel au fur et à mesure sur les trois premiers mois de l’année scolaire, et à chaque arrivée d’un nouvel élève au cours de l’année.
Dans notre dispositif les élèves travaillent parfois sur plusieurs objectifs en parallèle. Ils sont en mesure de passer de l’un à l’autre selon leur capacité du moment : nous leur apprenons à identifier le bon moment pour faire chaque chose. Ils savent reconnaitre le matériel qui correspond le mieux à leur besoin général étant donné leur situation de handicap, mais aussi à un besoin particulier à un moment donné de la journée. Et encore plus important, les enfants savent verbaliser qu’ils ne sont pas au bon moment pour faire telle chose. Ils peuvent me dire qu’ils ont besoin de repos avant de se replonger dans telle ou telle activité.
J’ai installé un coin lecture ou repos-sieste dans la salle car je préfère 20 minutes de sieste ou de repos, plutôt qu’une heure voir plusieures de classe dysfonctionnelle. Dans ce coin, j’ai un tapis où s’allonger, et de coussins. Mais les enfants peuvent aussi rester à leur place, assis sur des ballons, la tête dans les bras posés sur la table devant eux : cette posture peut leur suffire pour se relaxer.
Certains jeunes présentant des troubles autistiques préfèrent ainsi rester à leur place pour se reposer, en utilisant par exemple des boules Quies pour atténuer le bruit autour d’eux.
Finalement, le choix des différents matériels, aménagements ou espaces dépend beaucoup des besoins des jeunes qui nous rejoignent. Un ergothérapeute qui suivait un élève m'a conseillé d’utiliser tel ou tel matériel, selon son évolution.
Et puis chaque fin d’année, on revoit l'aménagement des espaces. On fait un bilan avec les enfants pour voir ce qui a manqué, ce qui pourrait être utile selon leurs besoins et selon les projets de l’établissement.
Comment aidez-vous les enfants à exprimer aussi clairement leurs besoins vis-à-vis des aménagements ?
Tous les quinze jours, nous tenons avec tous les élèves ULIS, un « Conseil de dispositif », inspiré des Conseils coopératifs de la méthode Freinet. Pendant une heure, chacun s’exprime, et écoute les remarques des uns et des autres. Lors de ce temps, les enfants ont leur mot à dire sur l’organisation de la classe et la circulation dans l’espace, en expliquant ce qui leur convient ou pas.
Les enfants apprennent aussi à exprimer leurs besoins et leurs ressentis les uns par rapport aux autres. Ils s’expriment sur les relations sociales dans le groupe et plus généralement dans l'établissement. Ils découvrent ce qu’ils peuvent dire, et comment le dire pour que les autres ne se sentent pas "attaqués", ne soient pas blessés et entendent leurs demandes.
Avec ces conseils, ils apprennent aussi que ce n’est pas se dévaloriser que de dire qu’on a une difficulté ou un besoin, particulier, même temporaire.
C’est un temps ritualisé : on s’installe à un nombre de tables limité, on est un peu serré, cela permet de nous mettre « en tension », cela aide les élèves à dire ce qu’ils ont à dire. Ceux qui ont absolument besoin de s’asseoir sur un matériel particulier comme un ballon par exemple y sont autorisés, mais c’est aussi l’occasion de leur expliquer que pour échanger et discuter de sujets importants, parler à quelqu’un qui bouge sur son ballon n’est pas très confortable pour l’interlocuteur. Donc on autorise l’utilisation du matériel, on en rappelle l’utilité dans un certain contexte mais on en souligne aussi les limites « sociales » en quelque sorte.
Notre objectif est de les amener à prendre conscience de leurs besoins et à les exprimer mais aussi d'apprendre à les gérer au sein d'un groupe social ou dans un contexte "ordinaire".
Vous expliquez dans le reportage que la direction de l’établissement est elle aussi à l’écoute des besoins des enfants. Comment cela se passe-t-il ?
La direction vient parfois écouter ce qui se dit lors des conseils. Mais c’est surtout une écoute générale, un engagement global pour la réussite de ce projet. A sa naissance il y a quatre ans, il soulevait une problématique précise : l’impact que « l’école inclusive », issue d'une demande institutionnelle, avait sur les pratiques des enseignants. Car pour un enseignant, accueillir dans sa classe un ou des élèves en situation de handicap, cela peut être très déstabilisant. Notre projet était aussi de créer un temps, un espace de réflexion et d’échanges de pratiques en lien avec cette question. Nous avons pu instaurer des moments de discussions pour partager nos questionnements, nos doutes entre collègues avec le soutien d'une équipe de chercheurs, dans le cadre d'un Groupement d'intérêt scientifique. On a pu prendre du temps pour aller observer un enseignant dans sa classe et en tirer des idées pour enrichir notre propre façon de travailler. Inversement, un collègue a pu prendre le temps de venir nous observer, pour voir ce qu’il pouvait nous apporter. On a découvert que l’on pouvait échanger des outils entre nos disciplines, pourtant parfois très différentes. Par exemple, ma collègue professeure d’EPS, est venue dans ma salle me donner son point de vue sur la posture de certains élèves. Des collègues de langues ont utilisé des pratiques pédagogiques utilisées en sciences et inversement.
Ces temps d’observation, de rencontres et d’échanges entre enseignants, sont facilités par une réorganisation de nos emplois du temps quand nous avons besoin. Cela aussi, c’est un vrai soutien au projet de la part de la direction.
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