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"Le matériel devient l'enseignant" - Interview de Mme Rault-Anquetin, professeur d'histoire-géographie

16 décembre 2019
Témoignages

Depuis la rentrée 2019, Juline Anquetin-Rault, professeure d’histoire-géographie au CFA Simone-Veil de Rouen (CFA de la CMA 76), expérimente auprès d’apprentis âgés de 16 à 18 ans une classe pilote inspirée de la méthode Montessori. Cette pédagogie participative et innovante, favorise la compréhension et la mémorisation. Sa conceptrice concourt pour le prix mondial des enseignants 2020 (Global Teacher Prize).

Comment vous est venue l’idée de cette classe pilote ?

J’enseigne depuis quatre ans et demi dans ce centre de formation d’apprentis qui prépare 400 apprenants au CAP et au brevet professionnel dans les métiers de bouche, de fleuriste et la vente en alimentaire. Je voyais bien que les élèves n’exploitaient pas tout leur potentiel, alors même qu’ils ont des capacités. En cherchant des pédagogies innovantes, j’ai trouvé la méthode Montessori, très efficace en maternelle et en élémentaire : pourrait-elle s’adapter à des adolescents et à ma discipline, l’histoire-géographie, dont les programmes sont denses ? Mes premiers essais ont démontré que oui, avec même des résultats bluffants en termes de rapidité d’apprentissage et de mémorisation !

Comment avez-vous mis en place cette classe ?

Convaincue par les tests, j’ai créé moi-même, durant l’été 2019, tout le matériel nécessaire pour mes neuf classes de première année de CAP, dont le programme venait de changer. J’ai fabriqué des outils : des flashcards, c’est-à-dire des cartes avec des informations associées au recto et au verso, des puzzles, des cartes géographiques, des chronologies géantes… J’ai aussi cherché des quizz et des jeux en ligne car cette pédagogie utilise beaucoup le numérique. J’ai enfin rédigé les consignes et les corrections de tous les exercices. La direction du CFA m’a véritablement soutenue dans ce projet, d’abord en mettant à ma disposition l’une des deux salles modulables de l’établissement : grâce aux tables et aux chaises à roulettes, nous pouvons créer sept îlots de six élèves pour constituer des groupes. La direction a également investi dans du matériel pédagogique complémentaire, notamment un poster de 3 mètres par 4 de la carte du monde et des figurines des principaux monuments de la planète, mais aussi des fournitures, des boîtes de rangement… Le matériel est classé et mis à disposition des élèves sur le rebord de la fenêtre. Côté numérique, nous disposons d’un espace avec deux ordinateurs et aussi d’un vidéoprojecteur. Nous envisageons maintenant d’acquérir un ou deux casques de réalité virtuelle et des tablettes.

Comment se déroule un cours type ?

Un cours dure 1 h 35. Il se décompose en 20 minutes de leçon, que je projette sur le tableau depuis mon ordinateur via un vidéoprojecteur, puis 5 à 10 minutes de quizz. Ces questionnaires à choix multiples, que je projette également, s’apparentent à une petite interrogation de cinq ou six questions, avec un côté ludique : les apprenants répondent en cliquant sur leur smartphone, les scores sont actualisés en temps réel et à la fin un podium affiche les vainqueurs. L’heure qui reste est consacrée aux ateliers. Les apprenants en ont une liste à faire obligatoirement, mais dans l’ordre qu’ils veulent et autant de fois qu’ils veulent. Ils vont chercher le matériel, lisent les consignes puis s’autocorrigent. Ils travaillent en totale autonomie, seuls ou par deux ou trois. À la fin du cours, je valide les ateliers avec des tampons suivant quatre niveau de réussite, de « tu peux mieux faire » à « excellent ».

Quels résultats constatez-vous ?

Je n’ai jamais vu les apprenants travailler autant et rester concentrés aussi longtemps. En faisant par eux-mêmes, ils comprennent mieux, apprennent plus vite et mémorisent plus facilement, ce qui est particulièrement adapté au rythme de l’alternance : les apprenants ne sont en cours qu’une semaine sur trois car ils passent les deux autres en entreprise. Leurs notes sont en très nette progression.

Cette classe pilote est-elle adaptée à tous les élèves ?

Absolument. Cette méthode convient bien aux élèves en difficulté, en particulier aux élèves « dys », dyslexiques, dyscalculiques, dyspraxiques et dysorthographiques, car elle privilégie la manipulation. Ils peuvent aussi recourir à l’oral plutôt qu’à l’écrit si cela leur est difficile, grâce à une option dans les quizz et les jeux en ligne. Même pour les élèves en situation de handicap que nous accueillons, comme les autistes, cette méthode est bénéfique car ils peuvent aller à leur rythme. Et s’ils n’ont pas terminé leurs ateliers, ils peuvent les continuer chez eux car la plupart sont accessibles en ligne via une application dédiée. Quant aux bons élèves, dès qu’ils ont fini, ils accèdent à des ateliers « bonus » et ne s’ennuient donc jamais !

Découvrir l'article Elèves atteints de "Dys" : quels aménagements pour mieux les accueillir ?", ici

Cette méthode va-t-elle se généraliser ?

À la rentrée prochaine, j’utiliserai cette méthode avec mes dix-huit classes mais l’idée est évidemment que tous les apprenants du CFA, sur notre site de Rouen comme sur ceux du Havre et de Dieppe, puissent en bénéficier. C’est, à mon sens, possible car cette pédagogie participative peut tout à fait être appliquée à d’autres enseignements généraux et aux matières techniques, quel que soit le niveau. Le rôle de l’enseignant évolue : on passe d’une démarche d’enseignement « descendante » à une démarche d’accompagnement. Cette méthode demande énormément de travail en amont, mais ça vaut le coup. Pour les apprenants bien sûr, mais aussi pour les professeurs. Concrètement, on enseigne moins mais ils apprennent plus. L’apprenti devient acteur de sa formation.

Crédit photo : CFA de la CMA 76 (site Simone Veil)

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10 commentaires
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Commentaires (10)

  • chantal reaubourg, il y a 5 ans
    félicitation pour ce mode de travail qui permet d'entrainer même les élèves en difficultés donc de leur redonner confiance:
  • Cédric Brulé, il y a 5 ans
    Bravo pour ce travail très inspirant. Je trouve que la dernière phrase résume bien ce vers quoi doit continuer d'évoluer notre métier : on enseigne moins, ils apprennent plus. Tout est dit!
  • Pascale Rault, il y a 5 ans
    Bravo. L'essence même de ton métier est dans ce concept. Donner envie d'apprendre en utilisant des méthodes et outils différenciant, que chaque élève choisi... inventer une méthode inspirée de Montessori pour l'adapter aux collégiens et lycéens est une très bonne idée. Encore Bravo pour l'idée et pour la passion que tu y mets. C'est par la confiance en soi que vient ensuite les petites puis grandes victoires...
  • Fanch' Fuselier, il y a 5 ans
    Bonjour, J’ai 20 ans, j’ai obtenue en 2018 un bac pro Eleec mention bien, pendant 3 ans je me suis ennuyé a mourrir en cours, j’ai même rêvé d’avoir ne serai-ce qu’un prof autant impliqués et avec une passion de transmettre des connaissances. Bravo Juline!!!!
  • Jerome Bevan, il y a 5 ans
    Bravo pour cette méthode ! Innovante et passionnante! Changer les codes, faire le pas de côté pour atteindre ses objectifs !!
  • Frédérique Vandaele, il y a 5 ans
    Quel bel investissement, une vraie chance pour ces élèves ! La confiance, la considération, l'exemplarité, de vrais moteurs pour donner l'envie d'apprendre et la motivation. Bravo Juline !
  • Sylvain Fuselier, il y a 5 ans
    Enfin une façon intelligente d'enseigner. J'espère que cette méthode se généralisera. J'aurais certainement fait plus d'étude si je t'avais eu comme professeure ma chère Juline. Je suis très fière de toi ! Ton parrain. La Bizh
  • Cyrile leder, il y a 5 ans
    Apprendre a toujours été une passion pour toi ...Transmettre cette passion est une évidence... Bravo pour cette belle façon d'enseigner. Je te souhaite de réussir lors du concours du prix mondial des enseignants. tu peux être fière de toi . A bientôt
  • Véronique Martin, il y a 5 ans
    Bravo Juline !!! Et enfin des méthodes suivant le modèle Montessori. Tu crées et adaptes des outils en fonction de tes classes, c'est sans doute beaucoup de travail en amont, effectivement, mais quel plaisir de voir ces jeunes retrouver le plaisir d'apprendre, de découvrir et d'avoir envie d'aller plus loin... De plus, ils apprennent eux-mêmes et peuvent utiliser les moyens d'aujourd'hui qui leurs sont familiers et qu'ils maitrisent, du coup tout doit leur paraitre plus simple et accessible facilement. Je crois beaucoup en toi pour porter ce projet au plus grand nombre. Bizh
  • Marie-Christine BAILLEUL, il y a 5 ans
    J étais maître formatrice et conseillère pédagogique dans l enseignement primaire public avant d être en retraite. Je me permets donc d écrire ici ce que tout cela m évoque : Le travail est cohérent et permet de contribuer à la construction d une culture commune tout en prenant en compte la spécificité de chacun. On sent une bonne connaissance des processus d apprentissage, des obstacles que peuvent rencontrer les apprenants et la manière d y remédier. Les situations proposées sont mobilisatrices et adaptées. Le cadre de travail est lisible, parfaitement repérable. Le professeur sait évaluer le degré d acquisition des compétences de chacun mais je proposerais d aller plus loin dans la réflexion sur l évaluation en se plaçant du coté de l apprenant : je suis en voie de réussite, je sais parfaitement faire... ou autres formules établies en concertation. Juline, votre implication dans le métier est remarquable qu il s agisse des préparations matérielles, de la prise en compte des rythmes de chacun, du respect des apprenants ou de votre projet professionnel... Nous sommes bien là dans ce qui est le cœur du métier : apprendre à apprendre. BRAVO. J espère vraiment que vos futurs projets vont se concrétiser. Question à poser : la maternelle a toujours fait partie du primaire. Comment se fait-il que dans le bandeau d accueil de ce site on lise : MATERNELLE PRIMAIRE SECONDAIRE ?

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