Bouger, collaborer et investir les murs : la classe mutuelle bouscule la classe traditionnelle

« Si modifier l’espace classe permettait de transformer l’apprentissage et favorisait le plaisir d’apprendre ? C’est le pari qu’a fait Vincent Faillet en 2015 en proposant à ses élèves de réfléchir avec lui à une réorganisation de leur salle de classe. Professeur au lycée Dorian dans le 11ème arrondissement de Paris et auteur du livre « La métamorphose de l’école, quand les élèves font la classe », il partage avec nous son expérience et décrypte la posture pédagogique particulière à la classe mutuelle. »

Pourriez-vous nous expliquer la notion de classe mutuelle ?

Vincent Faillet : La classe mutuelle s’appuie sur l’idée que les lieux et leur agencement conditionnent nos façons d’agir. Ainsi, l’espace, à savoir la salle de classe, est repensé, dépolarisé au sens où il n’y a plus cette configuration traditionnelle d’élèves assis et alignés face au professeur devant son tableau. Elle devient un lieu d’apprentissage collaboratif et participatif où les élèves se sentent libres de bouger et de circuler. L’objectif principal est de les rendre acteurs de leur apprentissage car le cœur de cette pédagogie est le travail entre pairs. Les élèves sont invités à exploiter toutes les potentialités de la salle de classe, notamment les murs sur lesquels sont disposés de nombreux tableaux afin de s’expliquer le cours. Le tableau n’est plus un outil à l’usage quasi-exclusif du professeur. Il devient une surface de travail et d’échange entre élèves.

De façon très concrète, comment se déroule un cours en classe mutuelle ? Qu’est-ce qui change pour l’enseignant ?

Une séance se découpe en trois temps : le lancement du cours reste relativement classique, les élèves sont à l’écoute de leur professeur, mais l’idée est de réduire au maximum cette première séquence. Les élèves se mettent ensuite au travail et s’appuient sur nombreux tableaux qui couvrent les murs pour s’approprier les notions et cheminer ensemble. Il s’agit du temps fort du cours. Ils s’entraident. Pour l’enseignant, cela implique un changement de posture significatif. Il descend de son « estrade » et circule entre les groupes de travail pour les accompagner et répondre aux questions éventuelles. Enfin, la séance se termine par un bilan collectif. Résultat : les élèves sont bien plus actifs et concentrés. Des moments de « déconcentration » surviennent bien évidemment ! Mais, revenir à l’essentiel se fait très rapidement et sans tension.

Quels seraient vos conseils aux enseignants qui souhaiteraient se diriger vers la classe mutuelle ?

La classe mutuelle se construit « ensemble ». Il est essentiel d’impliquer les élèves dans la mise en place de ce projet pédagogique. Cela démarre donc avec un temps d’échange. Je conseille d’intégrer cette manière de travailler de façon très progressive à son enseignement. Pour commencer, des séquences de 15 minutes suffisent. L’enseignant peut inviter ses élèves à produire à plusieurs sur de grandes feuilles A3 fixées sur les murs, puis à discuter de cette expérience de travail.

Et, comment repenser l’espace de la classe ?

L’agencement joue un rôle très particulier pour la classe mutuelle : les élèves doivent s’approprier l’espace et travailler en petits groupes. Selon la configuration de la salle, les murs ou bien les vitres pourront être mis à profit. Le mobilier choisi se déplace facilement pour s’adapter à cette modalité. L’idéal est de miser sur la disparité et le confort. La position du corps joue un rôle essentiel dans les apprentissages. Je préfère avoir un élève affalé dans un pouf actif et concentré, plutôt qu’un élève sagement assis sur sa chaise qui somnole ! J’aime proposer différents types d’assises et de tables : chaises, coussins de sol, mange debout… Sur une même séance, j’observe mes élèves évoluer naturellement d’un poste à l’autre.

Quel est votre regard sur l’évolution de notre représentation de l’école et du rôle de l’enseignant ?

Par essence, par leur configuration, la majorité des espaces classe représentent une invitation à reproduire le passé. Un tableau, des rangées de tables et de chaises incitent les élèves à s’asseoir silencieusement et le professeur à déclamer son cours. Cependant, lors de ces dix dernières années, la conception de ce que « doivent » être une classe et la posture de l’enseignant ont évolué de façon fulgurante ! Du lien se tisse entre les institutions, les collectivités et les enseignants. Cela valorise des travaux et donne de la visibilité à de nouvelles pratiques pédagogiques tout en faisant émerger les besoins notamment matériels des enseignants qui les portent. Progressivement, l’idée que l’on puisse faire la classe autrement fait son chemin dans l’opinion publique ainsi que dans la démarche des jeunes enseignants et cela me laisse à penser que cela n’a pas fini d’évoluer !

Pour en savoir plus sur la démarche de Vincent Faillet, découvrez sa prise de parole en 2018 au TEDx Talks à Annecy : https://www.youtube.com/watch?v=Yn1YMTfbUqI

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